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L’impuissance de la République face à la mondialisation

Les nécessités économiques ne doivent pas tout autoriser : c’est une conviction forte des royalistes sociaux, de Villeneuve-Bargemont à La Tour du Pin.

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Par Jean-Philippe Chauvin

Il importe de le rappeler à l’heure où des sacrifices sont demandés aux travailleurs et aux entrepreneurs pour réparer les erreurs, voire les fautes, des gouvernements et des différentes instances du pays légal qui dirigent la France et commandent à ses citoyens. Or, aujourd’hui, les gestionnaires de la République, mauvais gérants plutôt que régents politiques, s’agitent pour limiter la glissade sans fin (et sans fond ?) des finances publiques dans les abysses de la dette, au risque d’aggraver le mal et, possiblement, de tuer le malade (l’État) plutôt que de sauver les richesses nationales et populaires. Les annonces du Premier ministre, François Bayrou, avancées plutôt que détaillées le 15 avril dernier, montrent à l’envi la tentation du Pouvoir de se satisfaire de solutions immédiates et non de solutions pérennes et justes : l’urgence financière ne s’accompagne pas, en ce moment gouvernemental, d’une véritable stratégie économique, sociale et politique qui serait, pourtant, nécessaire et, à terme, plus utile au pays comme à ses diverses composantes industrielles, agricoles ou tertiaires. Est-ce la conséquence d’un système politique et institutionnel qui se focalise sans cesse sur les prochaines élections et, en particulier, sur la présidentielle de 2027 que les journalistes et analystes politiques déclarent déjà commencée deux ans avant l’échéance ? Sans négliger le fait qu’une prochaine et possible (sans être certaine) censure de l’actuel gouvernement et la tenue (là aussi possible…) de nouvelles élections législatives pourraient remettre en cause les mesures annoncées à grande clameur à défaut d’avoir été préparées avec grande rigueur. En fait, le désordre politicien de cette dernière année accroît les difficultés économiques et sociales sans préparer l’avenir autrement que sous les couleurs sombres de l’incertitude et de l’impuissance…

« Faites-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances », disait avec raison le baron Louis au pouvoir royal vers 1830, et c’est une formule qu’il faut encore et toujours répéter, en espérant qu’enfin elle inspire nos gouvernants. Pour l’heure, le conseil ne semble guère écouté et encore moins pratiqué en haut lieu. Quelques exemples récents montrent cette déshérence de l’État républicain contemporain : ainsi, l’affaire Vencorex qui, à la suite de nom­bre d’autres, est révélatrice ou, plutôt, significative de l’absence d’une politique économique et sociale d’État digne de ce nom. Peu de journaux nationaux ont évoqué ce dossier, pourtant d’importance au regard de notre souveraineté industrielle, et cela n’en est que plus inquiétant et, là aussi, révélateur : le 10 avril, le tribunal de commerce de Lyon a attribué au groupe chinois Wanhua (lui-même concurrent de l’entreprise française citée, par le biais d’une filiale hongroise, BorsodChem) la reprise partielle de l’usine chimique Vencorex (sise près de Grenoble) spécialisée dans la production du sel utilisé pour le refroidissement des réacteurs nucléaires, le carburant de la fusée Ariane et, entre autres, des missiles de défense français ! Pourtant, à lire la liste des usages de ce sel, cette usine s’inscrit dans les éléments importants de la souveraineté française, d’autant plus nécessaire aujourd’hui que les périls géopolitiques s’accumulent et forcent à la reconstitution d’une indépendance la plus large possible de notre outil industriel d’armement (et pas seulement, d’ailleurs). Mais le gouvernement Bayrou a balayé ces arguments d’un revers de main et a laissé faire cette exécution d’une usine française et de ses salariés, sans même soutenir leur projet de constitution d’une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), qui aurait pourtant pu, avec l’aide des collectivités locales et des syndicats engagés dans ce sauvetage, sauver nombre d’emplois. Las, le tribunal de commerce, indifférent à ces efforts louables, a préféré l’offre chinoise et a, ainsi, condamné 400 salariés au chômage quand 54 seulement y échappent dans l’offre de reprise validée pour le groupe asiatique : triste épilogue ! Il y aura, sans doute, une suite désastreuse après cette décision et, déjà, l’usine Arkema de Rhône-Alpes risque, elle aussi, la disparition ainsi que d’autres établissements de la « vallée de la chimie » en Isère. Pourtant, la Région Auvergne-Rhône-Alpes (dirigée par la droite républicaine) n’a pas ménagé ses efforts et, à l’autre bout de l’échiquier politique, l’euro-députée Manon Aubry a aussi alerté du danger de perte de souveraineté française dans le domaine de la chimie, de la production d’énergie nucléaire et de l’armement, au moment même où le président Macron évoque le réarmement nécessaire (et urgent) de la France…

Une action forte de l’État dans le domaine industriel est-elle aujourd’hui encore possible, à l’heure où l’Union européenne réglemente tant et tant, et que les caisses sont vides, notre dette publique largement aux mains d’intérêts étrangers ? Évidemment oui, et elle est surtout nécessaire, malgré et au-delà des obstacles certains mais pas forcément infranchissables. « Faire de la force », voilà ce que devrait être la politique de l’État et qui peut se traduire par un soutien fort aux systèmes et espaces productifs en France, et il n’est pas interdit de tourner nos regards vers le Royaume-Uni qui a décidé de renouer avec une politique volontariste et pragmatique, comme le souligne avec raison Ève Szeftel dans un récent numéro de Marianne : « Pour empêcher les derniers hauts-fourneaux du pays d’être vendus à un fonds chinois, le Parlement, parti en vacances, a été rappelé en urgence pour voter, samedi 12 avril, la nationalisation de British Steel. Une décision que l’on doit au Premier ministre travailliste, Keir Starmer, adepte d’un ‘travaillisme en col bleu’ ». S’il agit ainsi, c’est aussi pour reconquérir le terrain des usines, délaissé un (long) temps par une gauche devenue mondialiste après avoir été internationaliste, et qui avait négligé le fait qu’une mondialisation sans garde-fous nationaux était un désastre social sans fin et sans fond, par la mécanique même du libre-marché toujours favorable aux meilleurs prix pour les consommateurs et au moins-disant social pour les producteurs de base. La République actuelle, en France, semble prendre le chemin inverse du Royaume-Uni, à rebours de la nécessaire reconquête d’une souveraineté industrielle (et politique, en fait) : « Interrogé sur le refus de l’État de nationaliser temporairement Vencorex, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a déclaré que ce n’était pas ‘envisageable’, mais il a promis que l’État se tiendrait aux côtés des salariés pour les ‘accompagner’ et les aider à se reclasser. En 1999, le Premier ministre Lionel Jospin, assumait l’impuissance publique à empêcher la réduction d’effectifs chez Michelin en prononçant cette fameuse phrase : ‘L’État ne peut pas tout’. Vingt-cinq ans plus tard, l’État semble s’être résigné à un rôle encore plus marginal, celui d’‘accompagner’ les chômeurs, telle une super assistante sociale ». Cet état d’esprit fataliste qui se contente de l’assistance au dépens de l’investissement et de l’audace est une défaite ou, bien pire, une trahison pure et simple qui se pare des atours sombres de l’impuissance pour mieux cacher sa vilenie. C’est aussi la pire des solutions face à la sino-mondialisation qui menace notre tissu industriel et ses écosystèmes locaux : « De fait, l’Empire du Milieu est déjà en terrain conquis dans l’Hexagone : après une partie du port du Havre et des vignobles, les industriels chinois rachètent à tour de bras des parcelles de forêt. Ils raffolent en particulier de notre chêne… qui reviendra chez nous sous la forme de meubles made in China ». Tous les discours de matamore des actuels gouver­nants fleurent bon (façon de parler !) l’imposture, et il semble bien que ce ne soit pas vraiment récent. « À quoi bon lutter ? », pensent-ils, comme s’il n’y avait plus rien à faire d’autre que regarder les autres s’emparer de nos richesses pour mieux nous les revendre, à bas prix souvent (pour maintenir le contentement des consommateurs, à l’image de la grenouille plongée dans la casserole d’eau que l’on chauffe peu à peu, pour qu’elle s’endorme paisiblement avant l’ébouillantement final et fatal…) : ce n’est pas notre philosophie, et ce ne peut être la juste politique pour la France qui, en définitive, ne mérite pas cette République redevenue Quatrième depuis juillet dernier, punition terrible qui affecte la France tout entière…

Pour sortir de cette situation peu enviable de la France, il importe avant tout de « refaire l’État », non par une simple opération cosmétique mais par une véritable révolution (plus qu’une simple évolution, sans doute) que l’on pourrait qualifier de capétienne et colbertiste tout à la fois, royale en somme, qui redonne à l’État « la puissance d’être face au monde et au temps » : « Politique d’abord », ce n’est pas une simple formule vaguement provocatrice dans une société qui semble (mais sembler n’est pas forcément être…) dépolitisée, mais une nécessité de pratique d’État et, plus encore, de définition d’un État digne de ce nom et de sa fonction légitime (au-delà de la seule légalité d’un Créon ou d’un président de la République…) pour s’imposer, non à l’Économie même (évidemment nécessaire mais qu’il s’agit de remettre à sa place qui ne peut être, dans une société humaine, la première dans l’ordre des finalités), mais bien plutôt à ses féodalités et aux empires qui l’exploitent pour s’imposer dans l’ordre mondial.

Cette révolution institutionnelle, nécessaire, peut-elle être efficace sans une nouvelle organisation économique et sociale ? Dire « politique d’abord » ne signifie pas « politique partout » ou « politique dans tout » : dans le cas de la France, celui qui nous intéresse d’abord, il n’est pas inutile de s’intéresser aussi à la question de l’organisation économique et sociale la plus appropriée aux enjeux contemporains et à la nécessaire justice sociale, et à quelques-uns de ses principes. Ainsi, elle passe aussi par une valorisation des producteurs de base et de leurs métiers, aujourd’hui principales victimes de la mondialisation et du renoncement politique de la République : la bataille économique est également une affaire de motivation des travailleurs, qui doivent être intéressés aux résultats mêmes de leurs entreprises, y compris financières. En cela, une réflexion sur la propriété du métier et sur la création d’un patrimoine corporatif par les principales branches d’activité professionnelles serait fort utile pour aborder l’immense question du bien-être au travail et de la revalorisation de ce dernier dans une société de consommation qui, par principe, a eu tendance à dévaluer le rôle des créateurs, des producteurs et des « manuels » au profit des seuls consommateurs.

Que les royalistes sociaux aient remis ces thèmes au cœur de leurs questionnements et réflexions et qu’ils travaillent à ouvrir de nouvelles voies de propositions politiques et sociales, sans tabou ni a priori, n’est pas un hasard ni un caprice, mais marque la volonté forte de « ne pas se contenter de ce qui est », mais d’agir et d’intervenir, autant que faire se peut, au bénéfice des intérêts français et, au-delà, du bien commun général…