D’un 29 mai à l’autre
La médiocrité de la vie politique française ne peut qu’inquiéter alors que le pays s’enlise dans des difficultés économiques et financières abyssales tout en étant confronté à un sécessionnisme « frériste » qui règne déjà dans un grand nombre de « quartiers » avec l’accord tacite d’une République dont la veulerie n’est que le signe d’une lâche soumission. Mais surtout, sans parler de roman national, expression que nous avons toujours récusée et laissée aux républicains car elle réduit notre héritage national à un imaginaire strictement idéologique, il n’en est pas moins vrai qu’on chercherait vainement une dimension spirituelle et historique à une pratique politique désormais réduite à assurer les affaires courantes avant le dépôt de bilan, sinon du pays lui-même, du moins de nos institutions. La République peut-elle encore décevoir ?
Il y a deux cents ans, un 29 mai d’union nationale
Les Parisiens ou ceux qui passeront dans la capitale avant le 20 juillet ne seront pas déçus, en revanche, s’ils courent au Mobilier national visiter la magnifique exposition organisée sous l’autorité des commissaires Stéphane Bern, Hélène Cavalié et Renaud Serrette : elle porte sur le dernier sacre d’un Roi de France, le 29 mai 1825 à Reims, exposition à l’inauguration de laquelle a assisté le comte de Paris et à laquelle il apporté son soutien en prêtant notamment le collier de l’ordre du Saint-Esprit porté par le roi Louis Philippe, alors duc d’Orléans, au moment du couronnement de Charles X. Que n’a-t-on dit sur ce sacre, témoignage passéiste d’un roi qui n’aurait pas compris l’évolution de son temps ! « On », c’est-à-dire les libéraux du XIXe siècle qui, après avoir eu la peau de Charles X en 1830, eurent celle de Louis Philippe en 1848. Heureusement, l’historiographie, depuis, a redonné sa véritable dimension à ce sacre, grâce notamment aux travaux de l’historien Emmanuel de Waresquiel qui montre, dans Penser la Restauration, combien ce sacre, que Louis XVIII avait envisagé pour lui si son état de santé le lui avait permis, avait été pour la France un moment de réconciliation nationale, ce que les libéraux ne supportèrent pas.
« Malgré le déchaînement des libéraux, la cérémonie de Reims de 1825 fit une forte impression que traduisirent bien Hugo et Lamartine. » Une forte impression qui se traduisit par un véritable engouement populaire. Charles X conçoit le sacre comme un grand moment d’unité nationale, de « fête nationale », comme l’équivalent, sous le Restauration, dans une France redevenue elle-même, de la fête de la Fédération de 1790, qui avait été loin de tenir ses promesses. Il s’accompagne d’une amnistie royale libérant 130 prisonniers politiques. « Tout, commente Waresquieljusqu’au décor peint de la cathédrale le jour du sacre, rappelle cette réunion des différentes parties du pays. Les statues des villes de France surmontent les images peintes des rois depuis Hugues Capet jusqu’à Louis XVIII. Les bas-reliefs du jubé construit au centre de la cathédrale et qui porte le trône représentent les arts, l’agriculture et le commerce. L’idée d’union nationale, de communion du roi avec la nation est omniprésente. » Il remue jusqu’à des révolutionnaires impénitents, comme le comte Beugnot, devenu préfet de Rouen et grand persécuteur de prêtres réfractaires, dans sa jeunesse, qui écrit dans son journal personnel : « J’en demande bien pardon à la philosophie, mais j’ai été remué jusqu’aux larmes. » Et de continuer, retrouvant le sens d’une vraie philosophie politique : « J’ai senti qu’on fait des rois avec de la religion, des affections héréditaires et le respect des siècles, et qu’on ne les crée pas à volonté par quelques lignes jetées sur un papier. » Le sacre de Charles X lui avait fait recouvrer la vérité politique, à savoir : la nécessité d’une transcendance fondatrice du pouvoir politique ; la transmission du souci du Bien commun au sein d’une famille et la légitimité historique que ce souci du Bien commun fonde. Et d’opposer cela aux constitutions abstraites, aux quelques lignes jetées à volonté sur le papier répondant à une idéologie volontariste.
C’est que, comme le rappelle encore l’historien, Charles X jura conformément à l’article 74 de la Charte de « gouverner conformément aux lois du royaume et à la Charte constitutionnelle ». Et d’ajouter : « C’est tout le paradoxe de 1825. “Si, comme l’explique l’historien du droit Oscar Ferreira, le sacre tend à affermir l’autorité royale, le serment vise à le limiter.” Comme c’était à prévoir, les libéraux vont s’engouffrer dans ce paradoxe ». Mais ce paradoxe, c’est celui de la position médiatrice du roi et ce, depuis l’origine. Car, depuis l’origine, les rois ne disaient rien d’autre dans leur serment du sacre. « Je promets […] de faire justice, selon ses droits, au peuple qui nous est confié » (serment d’Hugues Capet, Noyon, 1er juin 987). Ce serment fut répété par les rois de France à chacun de leur sacre. « J’accorderai à mon peuple des lois conformes à ses droits » (Philippe Ier, sacre, 23 mai 1059). Et Louis-Philippe aurait pu, le 9 août 1830, prononcer son serment lors d’un sacre tout aussi bien que devant les Chambres : « En présence de Dieu, je jure […] de ne gouverner que par les lois et selon les lois, de faire rendre bonne et entière justice à chacun selon son droit, et d’agir en toutes choses dans les seules vues de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français ». Les rois ont toujours reconnu régner dans le cadre d’un droit existant, voire préexistant, lorsqu’il s’agit des droits fondamentaux du pays réel. Il n’y avait donc aucune contradiction entre monarchie constitutionnelle et sacre du roi — comme le montre toujours, du reste, la monarchie anglaise. Et ce dont témoigne aussi l’exposition, c’est bien la modernité d’un sacre dont le serment prend en compte l’évolution de la société depuis la Révolution, notamment en matière de liberté religieuse et de conscience. Un sacre qui, réglé à l’économie, jusqu’à réutiliser des éléments du sacre de Napoléon Ier, visait également à montrer à l’Europe entière le retour de la France dans l’intégralité de son prestige et de sa puissance politique, économique et spirituelle — une France éducatrice des peuples.
Il y a vingt ans, un 29 mai d’imposture
Henri, comte de Paris, évoquait dans Les Rois de France et le sacré l’élection du président de la République au suffrage universel, voulue par De Gaulle, comme une onction républicaine, et le plus piquant, c’est en effet de voir le vocabulaire républicain sans cesse emprunter au vocabulaire religieux, comme un remords, peut-être, ou la reconnaissance d’un manque. Ne vote-t-on pas le jour du Seigneur ? Mais de remarquer : « La différence radicale entre l’onction du sacre et celle du suffrage universel est que l’un consacre à jamais, dans l’intérêt général, la continuité et la permanence alors que l’autre est provisoire, incertain etrévocable », d’autant qu’il s’agit de cautionner un mensonge sur fond de dénombrement des voix : une partie devenant le tout, le chef d’une faction incarnant la nation. En République, il y a toujours des vainqueurs et des vaincus.
C’est d’autant plus vrai en ce 29 mai 2025, où nous ne commérons pas seulement le bicentenaire du dernier sacre d’un roi de France, mais aussi les vingt ans de la victoire trahie du non au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel : la République livrée à l’oligarchie a bien montré que le « peuple souverain » n’est pour elle qu’une fiction et l’onction démocratique une galéjade. Oui, il n’y a rien de sacré pour elle, pas même ses propres principes constitutionnels qui font des citoyens les premiers constituants mais qu’une forfaiture du Parlement réuni en Congrès a humiliés comme jamais : c’était en février 2008. Depuis lors, la République est nue, puisqu’elle a renié son propre sacré. En République, il y a surtout un vaincu : un peuple français en attente d’euthanasie — la mort, le seul sacré républicain ?